Accident mortel d’un technicien d’éolienne à Vaux-lès-Mouzon : décision du tribunal le 27 février prochain
Après un débat de 10 heures concernant le décès dans un mât d’éolienne d’un technicien de maintenance, le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières a mis son jugement en délibéré au 27 février 2023. L’audience de ce jeudi a ravivé les souvenirs de ce drame dont les magistrats ont cherché à connaître la cause et à déterminer les responsabilités.
Benjamin Cigarme était chargé, avec deux de ses collègues, de l’entretien d’un mât d’éolienne, le 26 octobre 2017 à Vaux-lès-Mouzon. L’amour de son métier l’habitait. L’enthousiasme du travail bien fait le galvanisait. Sa volonté : faire en sorte que cette machine qui produit de l’énergie continue à brasser le vent avec ses gigantesques pâles. Une opération de routine, dit-on.
Muni de son harnais, Benjamin Cigarme, formé au lycée Bazin à l’entretien des éoliens, et par son entreprise à la sécurité, à l’utilisation de l’élevateur entre autres, est sur la plateforme du mât avec deux de ses collègues. Tous les trois devaient monter. Pas en même temps.
Benjamin Cigarme s’engage le premier. Une fois enfermé dans le ventre de ce mastodonte, il s’élève à 100 mètres environ au-dessus du sol. Au sommet du mât, il ne renvoie pas l’élevateur à ses collègues. Pas de communication non plus par talkie-walkie. Chose inhabituelle. Aussitôt l’alerte donnée, les gendarmes de Mouzon interviennent. Ils trouvent le technicien inconscient et suspendu à son harnais. Ils entament une enquête pour élucider ce mystère. Des experts seront mis à contribution. Avec des rapports, des témoignages, des photographies de différentes pièces de l’élevateur, le dossier gonfle tel un soufflé.
Le tribunal qualifie cet accident en « homicide involontaire par personne morale par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail”. Sont visés, la SARL Enercon service France Est, la SARL Enercon Gmbh et le chef Sébastien Steimer.
Plusieurs fois évoqué devant le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières et autant de fois reporté, ce dossier a été enfin débattu ce jeudi. Dès l’ouverture, le tribunal a tenu à mettre hors de cause Jimmy Galloy, “cité par erreur”. A la barre, Sébastien Steimer, gérant de la société au moment des faits, et un autre représentant d’Enercon répondent tour à tour aux questions des magistrats. Le débat, très technique, consiste surtout à élucider les causes du drame. Notamment l’utilisation de l’élevateur avec la chaîne des responsabilités entre le fabricant et la Société Enercon. Les rapports des experts, très complexes, “sont divergents” souligne le tribunal. L’un évoque même la possible responsabilité du salarié dans l’accident dont il a été victime.
La présidente du tribunal correctionnel, Camille Ruhlmann, tente de simplifier le débat afin de le rendre plus compréhensible. Elle interroge les prévenus et insiste sur les mesures mises en place pour garantir la sécurité des techniciens. Des avocats interviennent pour compléter les réponses de leurs clients respectifs. Elle fait projeter sur les grands écrans de la salle d’audience les photographies relatives aux pièces versées au dossier.
Des experts sont appelés à la barre. L’un d’eux évoque un vice de fabrication imputable au constructeur de l’ascenseur et rend Enercon service France responsable de la non-conformité des mesures de sécurité. Dans tout ce débat technique, on parle beaucoup de la sécurité : absence de mode d’emploi de l’élevateur, absence de l’analyse du risque, absence de consigne, absence de bouton d’arrêt d’urgence. “La victime n’a pas pu accéder au boîtier de la commande d’arrêt automatique de l’élevateur”, insiste un inspecteur du travail. Sinon, il n’aurait pas perdu la vie.
Enercon de son côté estime que la cause, c’est la porte de l’ascenseur qui se referme en coinçant la longe. Une explication qui ne convainc pas Alban Gesbert, le substitut du procureur de la République : “Cela ne suffit pas à évacuer la responsabilité d’Enercon car la société a manqué à ses obligations de sécurité, n’a pas identifié les risques, ni mis en place des règles sur l’utilisation de l’ascenseur”. Et d’ajouter : “L’enjeu de ce dossier, c’est la sécurité au travail”. Ainsi a-t-il requis 100 000 euros d’amende à l’encontre d’Enercon Gmdh, 200 000 euros à l’encontre d’Enercon France Grand Est et 10 000 euros avec sursis à l’encontre de Sébastien Steimer. Pour les parties civiles, il a proposé 15 000 euros pour les deux frères et 25 000 euros pour chaque parent. L’avocat de la compagne du défunt et des enfants ne demande rien car une autre procédure est en cours au civil.
De leur côté, les avocats de la défense demandent au tribunal de ne pas suivre les réquisitions du ministère public. On connaîtra la décision des juges le 27 février prochain.